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Démocratie et lutte au Tchad: Marné, la résistante de l’ombre

Affecté par des années de conflits, le Tchad a connu une période triste définit par des batailles, des répressions mais surtout de dictature caractérisée par une violence extrême qui n’a épargné ni les hommes, ni les femmes et moins encore les enfants de toutes les couches sociales. Aussi, en cette période où les hommes étaient surtout surveillés, l’action des femmes, même si elle est méconnue, a été d’autant prépondérantes que décisives afin d’implanter les valeurs des libertés fondamentale dans l’histoire meurtrières du pays. Voici l’histoire de Marné.

Interprété en arabe tchadique, l’adjectif marné renvoi au sens de la mollesse, de la douceur ou la tendresse. Exactement le contraire de cette fille du Tchad qui a fait de la bravoure et du goût du risque une philosophie de vie.

Marné est née en 1961 à Bitkine au Guéra, une région tchadienne dominée par les massif montagneux et flottant entre le Centre et Centre– sud du Tchad. Cette bande qui reflète toute la diversité culturelle du pays a été le théâtre de l’un des premiers soulèvements populaires qui a vu naître des contestations réprimées de manière très violente (événements de Mangalmé). Et c’est dans cet esprit de rébellion qu’à grandit Marné. Moyenne de taille, le teint d’un noir et les cheveux mi long crépus, cette mère de famille devient au cour de la période dictatoriale une porteuse de courriers destinés aux mouvements de résistances qui luttaient contre le pouvoir en place. Elle était donc engagée physiquement dans le conflit en faisant de son corps et celui de son bébé des pourvoyeurs de message. Khadidja sa coéquipière nous raconte :

« L’itinéraire de Marné va de N’Djamena au Tchad, de Kousseri au Cameroun et à Maïdougouri au Nigéria. Au Cameroun, son bébé attaché au dos, elle rencontre les jardiniers et riverains tchadiens avec qui elle travaille. Il s’agit des tchadiens installés au pays voisins durent les longues périodes de conflits. Mais il n’y a pas que des légumes qui poussent dans ces jardins. Il y a aussi des informations très importantes, soufflées par le courant venant du Tchad. Les informations sensibles sont transcrites en lettres. C’était la période la plus sanguinaire et la police politique de Habré se trouvait partout. Les arrestations et les persécutions ciblées vont au delà du territoire nationale étant donné que des tchadiens vivant à kousseri, à Gambarou et à Maiduguri n ‘étaient pas épargnés. Alors pour éviter de ses faire prendre, Marné et ses coéquipiers ont mis en place une ruse : les messages sont hermétiquement pliés puis placés dans le gri-gri que porte son bébé autour de la taille. Le contenu original de l’amulette est remplacée par la lettre et le vieux contenant reste le même pour éviter d’éveiller les soupçon. Ensuite par la voie terrestre, la résistante arrive à Maïdougouri dans une maison de l’un des responsables du Mouvement pour le Salut National du Tchad où des hommes réunis, l’attendaient.

À son arrivée, ensemble ils détachent le gris-gris pour se saisir des informations et prendre ensuite des décisions et actions sérieuses. Mais avant de retourner au Tchad de nouvelles lettres portant des directives sur des actions à entreprendre sont minutieusement pliées, emballée dans du plastique noirs. C’est moi qui lui plaçais dans les cheveux avant de les dissimuler dans ses tresses. Heureusement encore elle possède des cheveux touffus et foncés ».

Marné était encore résolument engagée dans la cause de son pays surtout après l’attaque d’Ambasseria, en mai 1987, un village situé à Bitkine totalement incendiées.

Son travail a continué jusqu’à après le ralliement du Mouvement pour le Salut National du Tchad, le MOSANAT au Mouvement Patriotique du Salut, le MPS à Bamina.

Après l’entrée du MPS, elle s’est reconvertie en commerçante. L’ex resistante vit du commerce légumes qu’elle cueille dans le quartier Farcha et expose ensuite au marché central. Plus tard elle s’installa à Bongor, avant de rejoindre sa ville natale, Bitkine et mourut à l’âge de 58 ans.

Selon M. Oudah, un ancien résistant vivant au Nigeria dans la localité de Gambarou, cette veuve et mère de famille à la fois résistante et battante fait partie de ces tchadiens qui n’espéraient en retour de leurs efforts, que des meilleures conditions de vie pour leurs compatriotes. Marné a réalisé ce que beaucoup d’hommes n’ont pas pu accomplir.

Cependant l’héroïsme de Marné illustre aussi celui de Rose Lokissim arrêté en 1984 avant d’être exécutée par ses tortionnaires en 1986, à l’âge 33 ans.

Le parcours risquant de ces résistantes dotées d’un héroïsme noble et jalonnés de danger, témoigne du rôle déterminant qu’avaient joué nos mères, nos sœurs et nos filles pour des causes justes. De fois victimes de violences émotionnelles de tortures physiques, chacune d’entre elles s’est engagée volontairement et fièrement.

Rose Lokissim – http://www.rfi.fr/emission/20150411-parler-rose-prisonniere-hissene-habre-isabel-coixet

Abbo, Netcho. – Mangalmé 1965. La révolte des Moubi – Editions Harmattan

Photos et Propos recueillis par Salma Khalil