Réalisé par la cinéaste Salma Khalil, Madjbara ou Arc-en-ciel est un court métrage d’animation inspiré d’une expérience personnelle, qui explore le voyage dans le temps de l’identité. A travers une approche poétique, le film transporte les spectateurs d’une Afrique ancestrale authentique à une Afrique contemporaine “relookée” par la depigmentation.
Suivant des tableaux forts expressifs, Il met en lumière une société qui se déleste progressivement de sa mélanine sous l’effet d’un processus structuré de blanchiment. Cette pratique, véritable menace pour l’identité africaine, s’accompagne d’une invasion de produits décapants aux effets nocifs sur l’environnement et la santé.
Dans la mythologie Margaï, spiritualité originelle qu’on retrouve au Guera une région au centre-sud du Tchad, l’arc-en ciel est associé tantôt à une porte s’ouvrant vers un monde parallèle, tantôt comme nous l’explique Khamis Gassara fils et petit fils de guide spirituel, tel un serpent mythique.
Le film, conçu selon la technique du frame by frame (image par image), associe diverses approches artistiques telles que le coloriage graphique, la gouache sèche, le fusain et la peinture à l’huile. L’artiste insuffle également une dimension symbolique aux écritures, les entourant tantôt d’épines pour illustrer la violence, tantôt de couleurs vives et de fleurs pour évoquer la douceur et la beauté. À travers cette œuvre, la réalisatrice explore l’évolution de l’identité tchadienne, autrefois incarnée par une beauté authentique sublimée par des accessoires en harmonie avec la nature, mais profondément transformée en moins de six décennies.
Madjbara rend hommage à la femme, à la beauté naturelle, à la diversité culturelle et à l’authentitcité. Il dresse ainsi le portrait d’une partie de société où la blancheur est devenue le standard ultime de la beauté féminine. Selon ces diktats, une femme ne doit pas être noire ni porter les cheveux courts ; au contraire, elle doit avoir une peau claire, en conformité avec les canons véhiculés par le cinéma indien et les médias du monde arabe.
« L’histoire du film s’inspire de mon vécu personnel. Adolescente, je suis retournée au Tchad dans les années 1990, après l’accession au pouvoir du parti MPS.
Dans mon secteur (rue de 30, 40, 50 mètres, Goudji, etc.), adolescente j’étais confrontée à un harcèlement insidieux lié à ma couleur de peau, jugée trop foncée. Je découvre parallèlement un phénomène qui marque progressivement les femmes : la dépigmentation de la peau. Quand on est très jeune, les gens se permettent de s’exprimer sans filtre, allant jusqu’à te lancer une pièce de monnaie en te disant d’aller t’acheter du savon. Une manière mesquine de signifier que ta présence “dérange” le décor.
Plus surprenant encore, certaines femmes ayant recours à la dépigmentation et d’aucuns compatriotes adoptent un discours raciste et violent, reléguant la noirceur à une représentation archaïque, laide et indigne, comme si elle appartenait à un peuple inférieur ou une chose révolue à ranger au fond d’un musée.
Ce constat s’accompagne d’une réalité troublante : les insultes et propos haineux sont souvent exprimés en arabe, une langue où l’on retrouve aujourd’hui des termes péjoratifs similaires sur les réseaux sociaux comme TikTok mais aussi dans des ouvrages anthropologiques, historiques retraçant le douloureux passé colonial sur l’esclavage arabo-islamique dans le continent africain. Dans son livre intitulé “esclavage en terre d’islam”, Malek Chebel anthropologue et penseur algérien sur les religions, précise que le Tchad constitue la deuxième grande route de cette traite.
Grâce au soutien de mes parents et à une force nourrie par un amour-propre singulier, j’ai su résister à cette situation. Chaque mot gravé dans ma mémoire se trouve aujourd’hui retranscrit, imprimé et interprété à travers mes créations (films, BD, etc.). C’est une belle manière de transformer une expérience en art.
Face à cette réalité, il est essentiel de sensibiliser et d’éduquer les jeunes générations sur l’importance de l’identité et de l’histoire. Valoriser cette richesse culturelle, l’entretenir et la transmettre permettra de préserver la diversité qui fait la force et la beauté de l’humanité.