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Coronoa virus Tchad “Il vaut mieux éviter d’attraper le virus en adoptant les gestes barrières”

En surfant sur les réseaux sociaux, on constate combien, le COVID-19 est au centre de nos échanges. Après la chine et l’Europe, le monde entier est progressivement touché. Pour limiter la propagation de la pandémie, des pays ont adopté des gestes barrières. C’est le cas aussi au Tchad où il est conseillé à la population de respecter scrupuleusement les mesures de préventions pour éviter que ce mal invisible ne se diffuse dans le pays. Mais face à de telle situation, la discipline et la rigueur constituent également des clés indispensables pour contribuer à cette lutte. En chine elles ont donné des résultats satisfaisants. Qu’en est il de notre société ? Le confinement total est il possible ? Autant de questions qu’on se pose.

Pour obtenir des réponses à ces questions, nous nous sommes rapprochés auprès d’un anthropologue tchadien. Lui aussi, actuellement confiné en France.

Présentez-vous

Je me nomme Allah-Kauis Neneck. Je suis socio-anthropologue et actuellement doctorant en Sociologie à l’Université de Paris. Je suis également membre du Centre Population et Développement (CEPED) affilié à l’IRD et chercheur au Centre de recherche en anthropologie et sciences humaines (CRASH), basé à N’Djaména. J’ai 37 ans et père d’un petit garçon d’un an. En plus de mes recherches, je suis passionné par l’écriture.

Racontez-nous votre confinement en France

Alors, le confinement en France a effectivement débuté le 17 mars 2020 à midi. Il a été décrété par le gouvernement français pour faire face à la propagation rapide du COVID-19. Pour l’instant, tout se passe bien pour moi mais je déplore l’incivisme de certains Français qui continuent à ignorer les consignes relatives au confinement. Je vivais dans une résidence universitaire à Bondy. Pour ne pas me sentir isolé et seul, j’ai rejoins des compatriotes à La Courneuve. Du coup, nous passons nos journées ensemble. Il arrive cependant qu’on s’inquiète de ce qui se passe au pays : l’attaque des soldats dans la province du Lac, la découverte de 3 cas de COVID-19. Dans l’ensemble, il n’y a pas de soucis majeurs. Nous disposons d’internet, de vivres, de la bière (c’est important pour passer ces longues journées).

3 – Pensez-vous que pour faire face à la propagation du virus le confinement total est indispensable au Tchad ? Si oui ou non (expliquez)

Pour l’instant, le seul remède contre ce virus hautement contagieux reste le confinement total. Plusieurs pays dans le monde ont adopté cette solution. Le cas du Tchad me semble un peu à part pour la simple raison qu’il n’y a pour le moment que 3 cas connus (tous des étrangers). Mais si l’on constate une contamination alarmante ou rapide, la seule solution reste le confinement total. C’est inévitable et c’est pour le bien des Tchadiens. Maintenant, vu la situation socio-économique et l’extrême pauvreté dans laquelle vivent les populations locales, le confinement total risque d’avoir plus de mal que de bien. Déjà, il faut savoir que ces populations vivent au jour le jour pour se nourrir, se soigner. Si le pays est totalement confiné, les conséquences seront désastreuses. Ce sera peut-être le prix à payer pour endiguer ce mal. Tout au moins, il faudra penser à un confinement d’un mois si jamais la propagation du virus venait à s’amplifier au Tchad.

Quelle différence sociale faites-vous entre la population tchadienne, européenne et chinoise ?

Fondamentalement, il y a des différences entre ces trois populations sur plusieurs plans. Les différences sont d’ordre culturel, social, économique, politique, culinaire, etc. Attention, cela ne veut pas dire que les Européens et les Chinois sont supérieurs aux Tchadiens. Il faut bien comprendre qu’il n’y a aucune hiérarchisation culturelle, aucune supériorité entre les peuples. L’Histoire de chaque peuple est singulière et explique les différences. Dans cette perspective, l’éducation, l’art, la science, le politique ne peuvent ressembler. L’Europe est une puissance économique et colonisatrice. La Chine, même si elle a été envahie par le Japon, a un destin particulier. Elle est la deuxième puissance économique mondiale. Le Tchad, quant à lui, appartient à un espace vulnérable ; son histoire contemporaine est marquée par des conflits, la dictature. Forcément, les infrastructures ne sont pas les mêmes que celles des Européens ou des Chinois et le niveau d’instruction des populations non plus ! Par conséquent, il est donc normal que l’appréhension de cette crise sanitaire soit différente.

Les stratégies barrières appliquées dans ces Etats, sont elles aussi applicables chez nous ? Oui ? Non ? Pourquoi ?

Si ces gestes barrières ont prouvé ailleurs leur efficacité, on peut bien entendu les appliquer au Tchad. Ce n’est pas sorcier. Il est vrai que nos habitudes de tout partager, la promiscuité et le manque d’eau peuvent poser un petit souci. Mais avec un peu de sensibilisation et de bonne volonté, ces gestes pourraient être appliqués chez nous.

Etant donné la particularité de la société Tchadienne, quel comportement préventif devrait-on adopter face à cette situation.

Je ne sais pas exactement ce que vous appelez la particularité de la société tchadienne ! Si tant est qu’elle existe, il est souhaitable de la prendre en considération pour lutter contre le COVID-19. Je crois savoir que l’immense majorité des Tchadiens est fanatiquement religieux (je ne juge personne et ce que je dis n’engage que moi !). Si l’on se fonde sur cet aspect et qu’on associe les responsables religieux aux campagnes de sensibilisation et de communication, les populations, souvent illettrées, appliqueraient mieux les messages. Le fatalisme religieux est ancré en notre société mais ce n’est pas à désespérer. Il y a des religieux qui gardent le bon sens pourvu qu’on leur explique bien la situation. Il faut juste agir en amont au travers des sensibilisations.

 Une partie de la population a une lecture très banalisée de la situation. Certains pensent qu’il s’agit d’une punition divine ; d’autres soutiennent que cette maladie ne tue pas le noir. Comment peut-on interpréter ces pensées.

Il est ici question de fatalisme religieux. Ce fatalisme religieux fait qu’on n’accorde pas de crédit aux explications rationnelles et scientifiques aux phénomènes qui nous arrivent. On rapporte tout au divin. Cependant, ce virus n’a pas de couleur, ni de nationalité. Il tue tout le monde. Il est par conséquent très difficile de raisonner un fanatique religieux même le plus instruit. Ce n’est pas nouveau. C’est un phénomène ancien qui existe dans toutes les sociétés où le spirituel joue un rôle prédominant. C’est malheureusement le cas au Tchad

Comment emmener la population à adopter spontanément les gestes barrières.

Il n’y a pas de recettes miracles. Il n’y a que par la communication qu’on peut réussir à faire adopter ces pratiques. Les gestes barrières ne nécessitent pas de gros moyens. Par contre, la sensibilisation au changement de comportement nécessite plus de temps, de personnes et d’argent.

Avez-vous quelque-chose à ajouter ?

Je voudrai simplement dire à mes compatriotes que cette maladie n’est pas une maladie de Blancs. Ce virus est mortel et il touche tout le monde. Il y a des théories complotistes qui tendent à faire croire que le COVID-19 a été inventé. Même si c’était le cas, il a attaqué tout le monde y compris ces « inventeurs ». Il vaut mieux prévenir que guérir !

Un conseil ou message aux Tchadiens.

Je vais, au risque de me répéter, rappeler à mes chers compatriotes que ce virus est très contagieux et malheureusement mortel. Il y a également des guérisons mais il vaut mieux éviter de l’attraper en adoptant les gestes barrières. Je voudrais enfin, sans froisser quelqu’un ni remettre en question sa foi, dire aux Tchadiens que le COVID-19 n’est pas une malédiction divine. Et donc, aucune prière ne pourra les sauver. Il faut juste être prudent !

Propos recueillis par: Salma Khalil